La porte à gauche. Jean FERRAT a chanté que certains prétendent que le bonheur était à la porte à droite. Aujourd’hui est-il à la porte à gauche ? Oui ! mais à la condition de secouer le cocotier de la pensée convenu ! Ce petit blog crée à l’initiative de quelques militants communistes de Vierzon n’a d’autres ambitions que de donner aux citoyens un support pour s’exprimer librement sur les sujets politiques, sociaux ou culturels d’actualité du local à l’international, qui s’émancipe des discours convenus, des lignes officielles décidées par quelques notables de la politique, aux doubles langages, aux bonimenteurs de vraies fausses solutions et qui cultivent la résignation. Déverrouillez les débats et enfoncez la porte à droite (….ou à gauche ?) Les seules limites, car il en faut, à notre liberté : Celle du respect des personnes, le souci de la vérité et de faire vivre le débat. Ainsi seront exclus tous messages comprenant des insultes ou diffamations visant une (des) personne(s), seront exclues, s’ils sont avérées, des informations mensongères ou rumeur infondées. Chacun pourra également participer au débat juste et loyal en signalant un abus de cette nature. Les productions de ces abus seront retirés et l’auteur exclu du blog.
13 Août 2016
Son Conversation en Sicile fut interdit par l’Italie fasciste. Il défendit ensuite la « liberté de création » face à Aragon et aux communistes orthodoxes. Ses engagements, dit-il, lui viennent de « l’expérience collective dont il est le porteur spontané ». Et en ce sens, il pourrait être l’aïeul de la famille de plume de Silvia Avallone, que cette série d’articles tente de constituer.
« Il souffle dans le monde aujourd'hui, pas dans la seule Italie, un désespoir de vivre qui semble ôter, précisément aux plus jeunes, toute possibilité de lutte, même simplement historique », écrit en mai 1946 le romancier italien Elio Vittorini. Les jeunes gens essayant tant bien que mal de se faire une place dans l'Italie en faillite économique et morale des années 2000 que décrit la romancière Silvia Avallone pourraient en dire de même. Dans notre projet de construire une généalogie imaginaire à la jeune prodige des lettres italiennes, Vittorini sera donc le grand-père.
Elio Vittorini naît à Syracuse (Sicile) en 1908. Sa mère est analphabète, son père cheminot, ce qui lui offre, gratuité des transports ferroviaires oblige, de vastes possibilités de voyages. À trois reprises, il en use en adolescent fugueur. « Je m'en allais après avoir écrit à mon père que je ne reviendrais plus, et également certain que je revenais toujours. Je partais pour voir le monde, le plus grand nombre possible de gens qui peuplent le monde », racontera-t-il plus tard (in Journal en public, Gallimard, 1961). Il finit par franchir le détroit de Messine. À 17 ans, abandonnant ses études d'expert-comptable auquel son père le destinait, il travaille sur les chantiers qui prolifèrent dans l'Italie nouvellement fasciste. Le régime mussolinien ne révolte pas de prime abord le jeune homme épris d'action. Du terrassement en Vénétie, il passe à la typographie à Florence. Il s'y lie d'amitié avec un vieux correcteur érudit, qui lui apprend l'anglais en lisant Robinson Crusoé dans le texte. Le voici traducteur. Son goût de la littérature américaine, dans laquelle il voit « une espèce de littérature universelle en une seule langue », ne lui passera jamais.
Le premier tirage de Conversation en Sicile est modeste, mais le livre est réimprimé en 1942 à 5 000 exemplaires, qui trouvent preneurs en quelques semaines. Ce succès inquiète en haut lieu. Vittorini est convoqué et sermonné par les autorités fascistes, qui dénoncent un « livre immoral et antinational ». Le livre reste diffusé mais son auteur passe progressivement dans la clandestinité. Après l'effondrement du régime mussolinien à l'été 1943, il entre dans les formations armées des partisans, et adhère au parti communiste italien, fer de lance de la lutte antifasciste.
Que disait donc Conversation en Sicile de si subversif pour que le régime fasciste le tolère puis l'interdise au vu de son succès ? Le roman raconte le voyage de Silvestro du nord de l'Italie, où il travaille comme typographe, vers la Sicile, où son père lui a demandé d'aller rejoindre sa mère qu'il vient d'abandonner. Le ton est distant, presque sociologique, mais la portée politique indéniable. Conversation en Sicile dit subtilement deux choses. La première est que l'Italie des années 1940 n'est qu'un assemblage de territoires aux usages, aux mœurs, et aux parlers différents, à peine et peut-être pas même une nation. La seconde est que le Sud, et en particulier la Sicile, est, de cette mosaïque italienne, le territoire le plus opprimé, le plus arriéré, le plus misérable. Même dans la famille de Silvestro, enviée par les journaliers agricoles et les ouvriers de mines de soufre pour sa relative aisance, on se nourrit d'escargots et de chicorée sauvage les dix derniers jours du mois. Soit deux thèses insupportables au régime mussolinien construit sur l'exaltation de l'unité italienne.
Quinze ans plus tard, le milieu littéraire parisien débat de l'engagement de l'écrivain, et Vittorini devient l'objet de toutes les controverses. Conversation en Sicile et Les Hommes et les Autres ont été traduits en français, respectivement en 1948 et 1947. Leur auteur vient souvent après guerre à Paris, où il fréquente les écrivains en vue, à commencer par Jean-Paul Sartre, qui lui confie la direction d'un numéro de la revue Les Temps modernes consacré à l'Italie. L'heure est alors, sur les rives de la Seine, à l'engagement de toute écriture, que promeut en URSS le grand maître du réalisme socialiste Jdanov. Mais le jdanovisme n'est, pour le communiste Vittorini, qu'un « obscurantisme ». Comme il le déclare à l'occasion de rencontres internationales tenues à Genève en 1948, alors que la guerre froide débute, « le scandale réside en ceci que l'on ne sait pas encore reconnaître à l'activité artistique sa valeur de connaissance, irremplaçable, nécessaire, intégrative ». Le monde intellectuel communiste parisien, raconte Edgar Morin dans son Autocritique (Le Seuil, 1959), s'étripe : Vittorini, fort de son prestige d'écrivain autant que de résistant antifasciste, sert d'arme à tous ceux qui défendent, face au jdanovisme parisien qu'incarne Aragon, une certaine liberté de la création littéraire pour les écrivains proches du parti. En vain. Le parti communiste français restera, au moins jusqu'à la timide déstalinisation des années 1960, aligné dans sa politique culturelle sur l'URSS, là où son homologue italien avait admis dès les années 1950 l'autonomie créatrice des écrivains que réclamait Vittorini dans une lettre au secrétaire général Togliatti de 1947.
Aux rencontres internationales de Genève, en 1948, Vittorini disait : « Je nie qu'un écrivain puisse s'engager à travailler dans un sens plutôt qu'un autre avec un résultat valable […] Mais il y a un engagement “naturel” qui agit sur lui en dehors de sa volonté. Il lui vient de l'expérience collective dont il est le porteur spontané, et constitue, secret en lui-même, l'engagement principal de son activité. » Pour Silvia Avallone, au centre de notre série, ce fut la fin de son adolescence dans une ville industrielle en déshérence du littoral toscan qu'elle raconte dans D'acier.