« Bien sûr que je vais aller manifester le 31 mars ! Et je descendrai dans la rue avec mon drapeau CFDT. Au moins, je garderai la tête haute. » Thomas*, élu dans le secteur des services, ne comprend pas pourquoi son syndicat n’a pas appelé à la mobilisation le 31 mars, journée de grève nationale et de manifestations contre le projet de loi porté par la ministre du Travail Myriam El Khomri.
« Vous savez, ça hurle chez nous. Les militants et les salariés m’interpellent, ils sont vraiment en colère, ils ne comprennent pas la position de Laurent Berger [le secrétaire général de la CFDT] », poursuit Thomas. Bien sûr, « Laurent Berger a réussi à faire supprimer des mesures inacceptables, comme le plafonnement des indemnités prud’homales. Mais c’est loin d’être suffisant », renchérit Hervé*, élu de la métallurgie.
« La direction nous a fait comprendre qu’il fallait qu’on se taise »
Pour les syndicalistes CFDT interrogés par 20 Minutes, ce qui ne passe pas, c’est « l’inversion de la hiérarchie des normes », c’est-à-dire le fait qu’une entreprise puisse négocier pour ses salariés des conditions moins favorables que celles prévues par le Code du travail. « Ce n’est juste pas possible d’accepter une chose pareille ! », s’emporte Christine*, militante dans le secteur de la santé.
La direction de la CFDT a bien essayé de calmer ses troupes, comme le raconte Hervé : « Véronique Descacq [la numéro 2 de la CFDT] est venue dans notre région pour nous détailler les avancées obtenues. Sur l’inversion de la hiérarchie des normes, elle nous a dit de ne pas nous inquiéter, parce qu’il suffisait que l’on refuse de négocier. Mais c’est un discours théorique. Dans une industrie comme la nôtre, le rapport de force est tel que la direction trouvera toujours un syndicat pour négocier. Franchement, quelle organisation refusera le dialogue, quand le patron menacera de délocaliser l’activité ? ».
« Comme d’autres responsables CFDT, j’ai écrit à Laurent Berger pour lui faire remonter les réactions du terrain », nous confie Thomas. « En retour, la direction nous a fait comprendre qu’il fallait qu’on se taise… Je ne sais pas ce qu’il se passe à leur niveau mais nous, on est dans une position intenable. »
« Parfois, il faut simplement savoir dire non »
Hervé ne comprend pas non plus pourquoi Laurent Berger n’a pas appelé à la mobilisation : « Pour n’importe quel adhérent ou salarié, cela revient à dire que la CFDT est d’accord avec le texte… », analyse-t-il. Bien sûr, ce n’est pas le cas. La CFDT fait d’ailleurs tout pour le rappeler : sur les réseaux sociaux comme dans les médias, elle communique sur sa volonté de « continuer de peser sur le contenu » du projet de loi.
Mais pour Sonia*, jeune militante CFDT, cette stratégie de la conciliation a ses limites : « Laurent Berger essaye de grappiller des avancées, mais parfois, il faut simplement savoir dire non ».
Thomas a même l’impression « d’être au PS, avec une direction qui n’écoute pas sa base ». Et des militants qui désertent les rangs ? « Pas pour l’instant, mais il paraît que Laurent Berger a peur. En tout cas, chez nous, tout le monde parle de 2003 [quand la CFDT ne s’était pas mobilisée contre la réforme des retraites] », explique Sonia. A cette époque, des milliers d’adhérents écœurés avaient quitté le mouvement. Certains avaient rejoint d’autres organisations.
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Ces dernières partent d’ailleurs à la chasse : « Mon homologue à la CGT voit bien ma déception et il n’arrête pas de me faire du rentre-dedans pour que je prenne ma carte chez eux », souffle Sonia.
Christine a elle aussi été démarchée. Mais elle n’a pas hésité : « J’aime la CFDT, j’aime être dans un syndicat qui fait des propositions. Le 31 mars, je ne manifesterai pas contre ma centrale mais pour les salariés qui m’ont fait confiance. Ce n’est pas la CFDT qui a créé ce bazar, c’est le gouvernement. Lui qui disait défendre le dialogue social a sorti ce projet de loi sans consulter personne. Il a créé de nouvelles méthodes, la CFDT en fera de même, en étant dans la rue ».
* Prénom d’emprunt.
Par: N. MAURY.