La porte à gauche. Jean FERRAT a chanté que certains prétendent que le bonheur était à la porte à droite. Aujourd’hui est-il à la porte à gauche ? Oui ! mais à la condition de secouer le cocotier de la pensée convenu ! Ce petit blog crée à l’initiative de quelques militants communistes de Vierzon n’a d’autres ambitions que de donner aux citoyens un support pour s’exprimer librement sur les sujets politiques, sociaux ou culturels d’actualité du local à l’international, qui s’émancipe des discours convenus, des lignes officielles décidées par quelques notables de la politique, aux doubles langages, aux bonimenteurs de vraies fausses solutions et qui cultivent la résignation. Déverrouillez les débats et enfoncez la porte à droite (….ou à gauche ?) Les seules limites, car il en faut, à notre liberté : Celle du respect des personnes, le souci de la vérité et de faire vivre le débat. Ainsi seront exclus tous messages comprenant des insultes ou diffamations visant une (des) personne(s), seront exclues, s’ils sont avérées, des informations mensongères ou rumeur infondées. Chacun pourra également participer au débat juste et loyal en signalant un abus de cette nature. Les productions de ces abus seront retirés et l’auteur exclu du blog.
12 Décembre 2015
La menace de l’extrême droite pèse sur la vie politique française depuis trente ans. Et depuis trente ans, nos votes ne suffisent pas à enrayer son ascension. Car ils sont suivis de politiques qui lui font la courte échelle, épousant ses thématiques. À droite comme à gauche. Faire barrage, ce n’est donc pas seulement voter, mais changer de politique.
Qu’est-ce que l’extrême droite, sous toutes latitudes, dans toute culture et à toute époque ? Une force politique dont le credo tient en trois mots : inégalité, identité, autorité.
L’inégalité est au cœur de son idéologie antidémocratique, dont le discours identitaire sera le cheval de Troie, par la désignation de boucs émissaires, leur stigmatisation ou leur exclusion, tandis que l’autoritarisme en sera l’instrument pratique, par la régression des libertés individuelles et collectives. En ce sens, depuis son émergence moderne en France à la fin du XIXe siècle, cette famille intellectuelle et politique est l’adversaire historique des idéaux portés par la première République française, issue de la déclaration de 1789.
Quand les droits de l’homme professent que nous naissons libres et égaux en droits, sans distinction d’origine, de sexe, de croyance ou d’apparence, ayant toutes et tous le droit d’avoir des droits, d’en revendiquer, d’en conquérir et d’en inventer, l’extrême droite s’arc-boute sur l’inégalité naturelle. Hiérarchie des sexes, des conditions, des cultures, des nations, des religions, des civilisations, des couleurs de peau : sa pédagogie est de domination, d’oppression et d’exclusion d’humanités stigmatisées, essentialisées et déniées, par d’autres humanités privilégiées, promues et protégées.
C’est pourquoi son avènement au pouvoir finit toujours par une brutalisation générale de la société qui s’est laissé prendre à ses illusoires promesses de sécurité. Reposant sur la peur et la violence, la surveillance et la méfiance, son ordre est factice. À l’opposé d’une culture démocratique de délibération et d’invention tissée de pluralisme et de diversité, de tolérance et de reconnaissance, c’est un appel au conformisme et à l’unanimisme, à la servitude en somme.
À rentrer dans le rang, à suivre la file, à se taire et à obéir, à être indifférent et silencieux. Et la fonction du bouc émissaire principal – juif et métèque hier, musulman et immigré aujourd’hui – est d’habituer le peuple à ce renoncement en se retournant contre une part de lui-même, par l’exclusion, la stigmatisation, la détestation. Une fois installée à demeure, c’est une machine infernale qui ne peut que produire du rejet en cascade, contre toutes les minorités, toutes les différences, toutes les dissidences.
Il suffit de ce rappel, que n’a cessé de documenter le travail d’information de Mediapart sur le Front national, son idéologie comme sa pratique (lire notamment les articles de Marine Turchi), pour prendre la mesure de l’enjeu politique des élections régionales. Aucun républicain véritable, c’est-à-dire soucieux de vitalité démocratique et d’exigence sociale, ne peut rester indifférent à la possibilité que l’extrême droite conquière le pouvoir d’administrer des régions françaises, avec leurs compétences étendues dont l’impact sur nos vies quotidiennes n’est aucunement négligeable.
Est-il besoin de souligner que celles-ci incluent la gestion des lycées, des transports, de la formation professionnelle, du patrimoine culturel, de l’aménagement du territoire, du développement durable, des aides aux entreprises, bref d’une grande part des infrastructures qui font le tissu aussi bien éducatif, social, économique, culturel d’une région (lire ici leur inventaire). Par conséquent, aucun démocrate sincère ne saurait se résoudre à jouer avec le feu, dans l’espoir incertain que l’expérience gestionnaire suffira à discréditer une force politique qui a pour cible la devise républicaine elle-même, en son ressort essentiel, l’égalité.
Qu’il faille y faire barrage est donc une évidence. Et que le bulletin de vote en soit un des moyens en est une autre. Mais ce ne peut être qu’une réponse momentanée et, surtout, fragile. Elle ne sera durable qu’à la condition d’appeler une politique qui ne fasse plus le jeu de l’extrême droite, de son agenda idéologique et de sa politique concrète. Et c’est alors que tout se complique et se brouille tant, depuis trente ans, l’ascension du Front national a été favorisée, sinon produite, par les renoncements ou les compromissions d’une droite qui s’extrémise et d’une gauche qui se droitise, délaissant toutes deux cette altérité véritable qu’aurait été l’actualisation dynamique de la promesse républicaine.
Nicolas Sarkozy à droite, Manuel Valls à gauche sont les symboles de cette dérive qui, loin d’avoir fait barrage à la menace, lui a donné droit de cité, épousant ses obsessions, validant ses thématiques. Dans les deux cas, Mediapart a tôt sonné l’alarme, que ce soit sous la présidence du premier après notre création en 2008 ou quand le second s’est retrouvé ministre de l’intérieur, puis premier ministre depuis 2012. Sonneurs de tocsin, nous alertions sur l’effet désastreux de politiques qui, se plaçant sur le terrain de l’adversaire prétendu, n’ont cessé de le légitimer, partageant jusqu’à ses obsessions stigmatisantes vis-à-vis de ceux de nos compatriotes qui, par leur croyance, leur culture ou leur origine, ont en commun ce mot diabolisé : l’islam.
« Un basculement historique », écrivions-nous collectivement, il y a précisément un an, dans Qu’ont-ils fait de nos espoirs ? dont voici les toutes premières lignes : « La France est à la merci d’un accident historique : l’élection à la présidence de la République, en 2017, de la dirigeante d’extrême droite Marine Le Pen. Il ne s’agit là ni de pronostic, ni de prévision, encore moins de pari. Simplement d’une analyse froide de l’ampleur sans précédent de la crise de représentation politique, de la dévitalisation de notre démocratie, de l’épuisement des projets tant au sein de la droite républicaine que des gauches de gouvernement ou radicale. Oui, ce dérèglement politique majeur rend possible l’accident électoral. »
Et nous étions encore loin du compte au vu du bilan de cette année 2015, marquée par les noces tragiques d’un terrorisme totalitaire et de la politique de la peur qu’il appelle et provoque, guerre du dehors au-dedans, cette fuite en avant où le pouvoir exécutif prend le pas sur la société, la congédie et la musèle. Voici qu’elle se termine sur un recul général des libertés fondamentales avec un état d’urgence sans fin dont les cibles sont indistinctes. S’y ajoute une croissance accrue du chômage, de la précarité et de la pauvreté dans l’indifférence gouvernementale, comme si l’aubaine terroriste permettait d’éclipser l’urgence sociale, engagement central du président élu conditionnant, selon ses propres dires, une éventuelle nouvelle candidature. Sans oublier, ultime offrande à l’extrême droite, la promotion à gauche sous Hollande du même poison identitaire qu’avait brandi la droite sous Sarkozy : la déchéance de nationalité comme arme de purification nationale.
En l’état actuel de la formation Les Républicains et du Parti socialiste, les deux principales forces politiques qui nous appellent à venir les secourir dans les urnes sont donc des pompiers incendiaires. S’agissant du sarkozysme, ce fut flagrant dès le premier jour, en 2007, avec ce ministère-mur, dit de l’identité nationale et de l’immigration – et mieux vaut tard que jamais si, aujourd’hui, ce qui reste de droite républicaine, non extrémisée ni hystérisée, prend enfin conscience du désastre. Mais la démonstration pourrait se prolonger indéfiniment, du spectacle oligarchique indécent à l’aventure guerrière libyenne, avec l’avidité comme fil conducteur.
Quant à nos actuels gouvernants socialistes, après avoir assumé le reniement de nombre de leurs engagements électoraux, puis tourné le dos sans états d’âme à ceux qui les avaient élus et, enfin, s’être séparés de tous leurs partenaires à gauche, les voici qui, soudain, se souviennent qu’ils ont besoin d’électeurs et d’alliés. En somme, de notre soutien pour, dès le lendemain, agir comme s’il valait chèque en blanc, comme s’ils n’avaient aucun compte à rendre, comme s’ils étaient propriétaires de leurs électeurs. Et poursuivre ainsi leurs ambitions personnelles à l’abri d’un présidentialisme antidémocratique qui ruine la République de tous au profit de l’aventure de quelques-uns.
Aussi, tout en refusant de jouer la politique du pire, nous refusons-nous à ce que nos voix soient prises en otage de leurs manœuvres cyniques qui, en exploitant tactiquement la menace d’extrême droite, continuent d’en faire le jeu et le lit. Faire barrage durablement à l’extrême droite suppose une autre politique qui, au lieu de surenchérir sur les thématiques inégalitaires, identitaires et autoritaires du Front national, lui oppose l’imaginaire conquérant, actif et concret, d’une République fidèle à sa promesse de liberté, à son exigence d’égalité et à son souci de fraternité.
Nous sommes aujourd’hui loin du compte, et ce n’est pas avec ceux qui nous ont conduits dans cette impasse que nous tracerons ce chemin du sursaut. C’est pourquoi il nous revient à toutes et tous, dans notre quotidien, là où nous vivons, travaillons, habitons, au plus près du réel, de ses urgences sociales et de ses nécessités démocratiques, d’inventer cette République des causes communes, portée par une France arc-en-ciel, faisant droit à toutes les conditions, origines, cultures, croyances et apparences. Une République qui en disant « non » à l’extrême droite construise le « nous » de l’égalité.
Par Edwy Plenel