7 Mai 2015
Du scandale Mediator aux réunions secrètes des gendarmes du médicament, en passant par les activités de conseil de Jérôme Cahuzac ou d'Aquilino Morelle, l'influence des laboratoires est omniprésente dans le monde des experts du médicament. Au-delà des excès d'une minorité, plusieurs facteurs structurels expliquent la toute-puissance de Big pharma.
Mise en relief par le scandale du Mediator, la question de l’indépendance des experts est la clé de la confiance des citoyens dans leur système de santé. Confiance mise à mal par la révélation des multiples conflits d’intérêts qui affectent le contrôle des médicaments. Le monde de l’expertise apparaît aujourd’hui marqué par l’emprise des laboratoires et le mélange de genre entre activités privées et missions de service public. Et cela, dans un contexte de recul général du pouvoir de l’État, alors que la puissance de l’industrie pharmaceutique ne cesse de croître : elle a franchi, en 2014, le seuil de 1 000 milliards de dollars (924 milliards d’euros) de chiffre d’affaires mondial.
Marisol Touraine, ministre de la santé, a entrepris d’améliorer la transparence des relations entre experts et industrie. Prolongeant la loi sur le médicament de Xavier Bertrand en 2011, le nouveau projet de loi santé voté par l’Assemblée impose pour la première fois aux professionnels de santé de déclarer les montants de leurs conventions avec les industriels (ils devront figurer dans la base de données Transparence-santé). Une avancée incontestable, mais qui ne peut à elle seule suffire à faire reculer l’influence omniprésente de l’industrie pharmaceutique.
Pas moins de neuf professeurs hospitaliers sont mis en examen pour avoir conseillé le groupe Servier, fabricant du Mediator, alors qu’ils exerçaient ou avaient exercé des fonctions de contrôle du médicament. Plusieurs enquêtes de Mediapart ont révélé qu’à peine sorti du cabinet de Claude Évin, ministre de la santé de 1988 à 1991, Jérôme Cahuzac offrait ses services de consultant aux laboratoires. Que le conseiller politique de François Hollande, Aquilino Morelle, avait travaillé pour une firme américaine et pour le laboratoire danois Lundbeck, alors qu’il était membre de l’Igas (Inspection générale des affaires sociales). Ou encore que François Lhoste, membre du comité qui fixe les prix des médicaments depuis 1993, avait en parallèle conseillé personnellement Jacques Servier, fondateur du groupe qui porte son nom.
En avril 2014, dans un rapport présenté à l’Académie nationale de pharmacie, le professeur Gilles Bouvenot, ancien président de la Commission de transparence – l’une des principales instances de contrôle des médicaments – s’inquiétait « du foisonnement et de la diffusion incontrôlables, dans les médias et sur Internet, d’informations souvent contradictoires sur les médicaments, y compris sur les vaccins », ainsi que d’une « perte de confiance dans les messages des institutions officielles ».
Comme l’a révélé Mediapart, Gilles Bouvenot, avec Bernard Avouac qui a présidé la même commission avant lui, ainsi que des membres de la Commission d’autorisation de mise sur le marché, a pendant des années organisé des réunions secrètes pour donner des conseils rémunérés à des laboratoires.
Ces abus sont le fait d’une minorité d’acteurs peu scrupuleux, mais ils traduisent aussi le déséquilibre structurel entre l’industrie et les pouvoirs publics. Le lobbying pharmaceutique s'exerce dans tous les secteurs de la santé où il existe un marché important, des traitements contre l'Alzheimer à la prévention de l'ostéoporose, ou aux vaccins destinés à éviter les cancers du col de l'utérus. François Hollande lui-même, en présentant le Plan cancer, a vanté les mérites des vaccins contre les papillomavirus (Gardasil, Cervarix), en les présentant comme les premiers vaccins anticancéreux (ce qui est faux : le vaccin contre l'hépatite B vise à prévenir le cancer du foie).
« On n’a pas toujours observé une telle omniprésence et une telle toute-puissance de l’industrie pharmaceutique, dit Bruno Toussaint, directeur de la revue Prescrire. Ce n’était pas le cas lorsque l’on a découvert la pénicilline, l’insuline ou les sulfamides, qui ont pourtant été des progrès majeurs. Aujourd’hui, l’industrie pharmaceutique est partout parce que la société lui a laissé prendre cette place. Ce n’est pas une fatalité. » Si le phénomène est mondial, la situation française comporte des spécificités. Examinons les facteurs, à la fois nationaux et internationaux, qui expliquent le poids excessif des laboratoires pharmaceutiques.